…Imagine-t-on des multinationales traîner en justice les
gouvernements dont l’orientation politique aurait pour effet d’amoindrir leurs
profits ? Se conçoit-il qu’elles puissent
réclamer — et obtenir ! — une généreuse compensation
pour le manque à gagner induit par un droit du travail trop contraignant ou par
une législation environnementale trop spoliatrice ? Si
invraisemblable qu’il paraisse, ce scénario ne date pas d’hier. Il figurait
déjà en toutes lettres dans le projet d’accord multilatéral sur l’investissement
(AMI) négocié secrètement entre 1995 et 1997 par les vingt-neuf Etats
membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques
(OCDE) (1). Divulguée in extremis, notamment par Le Monde diplomatique, la copie souleva une vague de
protestations sans précédent, contraignant ses promoteurs à la remiser. Quinze
ans plus tard, la voilà qui fait son grand retour sous un nouvel habillage.
L’accord
de partenariat transatlantique (APT) négocié depuis juillet 2013 par les
Etats-Unis et l’Union européenne est une version modifiée de l’AMI. Il prévoit
que les législations en vigueur des deux côtés de l’Atlantique se plient aux
normes du libre-échange établies par et pour les grandes entreprises
européennes et américaines, sous peine de sanctions commerciales pour le pays
contrevenant, ou d’une réparation de plusieurs millions d’euros au bénéfice des
plaignants.
L’industrie américaine de la viande entend obtenir la
suppression de la règle européenne qui interdit les poulets désinfectés au
chlore. A l’avant-garde de ce combat, le groupe Yum !, propriétaire de la chaîne de restauration rapide Kentucky
Fried Chicken (KFC), peut compter sur la force de frappe des organisations
patronales. « L’Union
autorise seulement l’usage de l’eau et de la vapeur sur les carcasses », proteste l’Association nord-américaine de la
viande, tandis qu’un autre groupe de pression, l’Institut américain de la
viande, déplore le « rejet
injustifié[par Bruxelles] des viandes additionnées de bêta-agonistes, comme le chlorhydrate
de ractopamine ».
La
ractopamine est un médicament utilisé pour gonfler la teneur en viande maigre
chez les porcs et les bovins. Du fait de ses risques pour la santé des bêtes et
des consommateurs, elle est bannie dans cent soixante pays, parmi lesquels les
Etats membres de l’Union, la Russie et la Chine. Pour la filière porcine
américaine, cette mesure de protection constitue une distorsion de la libre
concurrence à laquelle l’APT doit mettre fin d’urgence.
« Les producteurs de porc
américains n’accepteront pas d’autre résultat que la levée de l’interdiction
européenne de la ractopamine »,menace le
Conseil national des producteurs de porc (National Pork Producers Council,
NPPC). Pendant ce temps, de l’autre côté de l’Atlantique, les industriels
regroupés au sein de BusinessEurope dénoncent les « barrières qui affectent les exportations
européennes vers les Etats-Unis, comme la loi américaine sur la sécurité
alimentaire ». Depuis 2011, celle-ci autorise en effet
les services de contrôle à retirer du marché les produits d’importation
contaminés. Là encore, les négociateurs de l’APT sont priés de faire table rase…
Le Monde Diplomatique
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