Rina Santoro, écrivaine d’origine italienne, née dans les Pouilles et émigrée en France à l’âge de 12 ans, s’inspire très certainement de sa vie personnelle dans ce roman assez curieux, de forme épistolaire et poétique, mais bien ancré dans une réalité, oscillant entre douceur et colère, amour et révolte, tout imprégné d’odeurs culinaires (la frisa, pain rond arrosé d’huile d’olive et de tomates fraîches, le fromage piquant, la mortadelle, les câpres, la verdura, les bulots grillés, la pastèque, la pasta, la mozzarella…) et de sonorités musicales entêtantes, exhalant un souffle chaud et des embruns marins.
Un livre de sensations d’abord, où l’Italie du Sud (le Salento), authentique et généreuse, belle et altière, attire d’emblée le lecteur-voyageur puis peu à peu, au fil des pages et de la confiance qui s’installe avec la narratrice, le récit interpelle aussi le lecteur-militant, le rallie aux côtés des migrants d’aujourd’hui, éveille sa conscience face à l’injustice, le déstabilise un peu parfois dans son assurance, pointe aussi cette attitude d’indifférence honteuse, sans détours mais avec prévenance, sans jamais le perdre en tout cas et l’invite à la tolérance.
En s’adressant d’une manière assez pudique mais directe à une femme aimée (son amoureuse ?), la narratrice raconte son enfance, son émigration « réussie » vers la France pour fuir la pauvreté du sud de l’Italie dans les années 60. « La terre nouvelle. Le rêve. L’espoir. Le courage d’avoir dit non à la misère. L’impertinence. » Parsemé de mots italiens, le récit fluide et poétique, à la tonalité franche, presque sèche, (absence de longues phrases et de virgules) témoigne de cette double culture, de cette langue natale qu’elle ne veut pas perdre et de l’amour qu’elle porte aussi à la langue française.
Par bribes, elle délivre son passé, son intégration semée de difficultés « ordinaires » (moqueries d’enfants) et ce nécessaire retour au pays natal, depuis lequel elle écrit justement et dont elle narre la douloureuse évolution. « Ici je suis de nouveau une exilée. Encore plus exilée qu’avant. Volontaire cette fois. Exilée volontaire […] Je pense à toutes ces années où je me suis baladée amputée de mes mots d’origine […] Je suis une étrangère ici. Etrangère chez moi.»
Le marasme économique de sa région fait fuir la jeunesse (« deux millions de jeunes ont fui le Sud ces dix dernières années ») et paradoxalement, de par sa position géographique, cette région appauvrie devient terre d’accueil d’une autre population, plus démunie encore, dont les autorités ne savent que faire, dont la Mafia fait commerce sans états d’âme, que l’Eglise hypocrite éloigne autant qu’elle peut de ses préoccupations. « Même les gens du sud ont maintenant leurs immigrés. Eux qui ont envahi le monde à la recherche de la fortune. D’un asile. D’un vêtement pour habiller leur misère. »
Une colère qui monte sans brutalité, à travers les mots et la musique qui les accompagne. Voilà presque un chant de révolte qui se mélange avec harmonie au rythme des pizzica et tarentules et emporte l’adhésion du lecteur, déjà en mouvement, prêt à danser et à se rebeller et lutter, tout aussi séduit par la grâce poétique du récit que par son intensité de combat social.
D’ailleurs, et c’est une belle idée, le livre est accompagné d’un cd (trois titres) de Dario Muci, interprète de musique populaire de la région, et décuple toutes les sensations musicales exprimées dans le texte. « Sa voix chaude mélancolique m’a apaisée. Sa voix puissante. Mélodieuse. Haute en couleurs. Rebelle. Comme un train au ralenti des oliviers de la vigne des champs de blé […] C’est la musique des entrailles de ma terre enfin retrouvée».
L’émotion, entre amertume, nostalgie, chagrin et espoir retentit alors sans retenue, libre et radieuse.
Cécile PELLERIN
Rina SANTORO était l'invitée du club de lecture de Claveyson, lundi dernier.
Rina SANTORO était l'invitée du club de lecture de Claveyson, lundi dernier.