Un article d'Agnès MAILLARD "Le Monolecte" que j'approuve sans réserve.
Parfois, au cœur de la nuit, je me dis que tout cela n'est qu'une vaste
fumisterie, que nous sommes tous morts, si nous avons jamais été vivants, et
que c'est exactement ça l'enfer : un endroit de merde où tout marche sur
la tête.
Cela fait un bail que
je
ne crois plus aux manifestations, mais ça n'en reste pas moins quelque
chose d'autrement plus concret que les foutues pétitions en ligne, tout aussi
inefficaces, mais qui flattent l'égo des fainéants individualistes et
productivistes en leur donnant l'illusion de continuer à participer aux
affaires du monde en un clic, le cul dans leur fauteuil de bureau à vérin
hydraulique.
Je suis donc allée à la manifestation du bled en chef pour deux raisons très
valables à mes yeux : revoir
les
potes militants qui sont éparpillés dans tout le département, mais que je
suis à peu près certaine de revoir systématiquement à ce genre de rassemblement
et aller contempler de mes yeux
la
trahison socialiste.
Il faut comprendre à quel point le socialisme français contemporain me sort
littéralement par les trous de nez : tous ces bons sentiments dégoulinants
qui ne sont jamais traduits dans les faits autrement que par l'accès au pouvoir
symbolique et par la reddition sans conditions à la logique capitaliste la plus
gerbeuse.
Cela dit, je conservais quelques doutes quant à la sincérité de l'engagement
des militants socialistes, ces hommes et ces femmes de terrain (mais surtout
ces hommes, quand même, les femmes en positions éligibles restant
anecdotiques !) qui parlent avec leurs tripes et qui croient encore au
pacte républicain, même si le rouleau compresseur consumériste a bien aplati
toute velléité de lutte des classes depuis longtemps.
Lors des dernières élections, j'avais eu des échanges intéressants avec des
socialos de base qui notaient bien le désengagement de leur cadre quant à une
quelconque justice sociale, mais qui avaient l'air de penser sincèrement
qu'avec les socialistes au pouvoir, ce serait moins pire qu'avec le petit
excité ami des riches et des puissants, que les socialos ne sont pas
xénophobes, par exemple, qu'
on
aura forcément mieux que Guéant à l'Intérieur, etc. En gros, l'idée,
c'était qu'entre la peste et le choléra, on pouvait encore choisir la dengue.
Et puis, surtout, je me souvenais de la déferlante socialo lors des
dernières grandes manifs contre la réforme pourrie des retraites qui se
proposait, déjà, de
voler
deux ans de vie aux travailleurs. Appel à la grève, farandole d'écharpes
tricolores en tête de cortège, les socialos gueulaient avec nous contre
l'aspect inique de l'allongement de la vie au travail, autrement dit, la réduction
brutale de l'espérance de ne pas vieillir dans la misère pour les jeunes
générations.
Le fait est qu'entre la réforme de 2010 et celle de 2013, la seule chose qui
a changé, c'est la couleur symbolique du gouvernement qui nous l'impose.
Personnellement, quand je me fais avoir de cette manière-là, peut m'importe de
savoir qui nous la met bien profond, à l'arrivée, on a tous mal au cul de la
même manière. En moins fleuri : UMP ou PS, la misère que sèment ces
honteuses soumissions aux appétits du MEDEF et de ses potes des organisations
internationales de la misère sans frontières aura exactement la même sale
saveur en bouche quand elle nous tombera dessus. Et pour être encore plus
claire : je me tamponne des discours des uns et des autres, je juge la
politique à ses actes et pour le coup, bien malin qui m'expliquera la
différence entre une politique antisociale de droite et une politique
antisociale de gauche.
Donc, j'étais là, dans le matin gris et humide de cette année merdique que
le printemps a déjà déserté que l'automne s'apprête à faire de même, j'étais là
et nous étions bien peu à y être. Disparus, les camarades socialos, disparue,
la belle solidarité de classe, disparu, le légitime mécontentement alors que
tout ce qui fait l'État solidaire est tranquillement démoli pour faire la place
au cauchemar économique de
la
logique assurantielle.
Je savais, au fond de moi, que le socialisme contemporain n'avait plus rien
à voir depuis longtemps avec l'idée humaniste et généreuse qu'en avait son
fondateur. Je savais, depuis longtemps, que le jeu politique a été confisqué
dans son intégralité par une seule classe sociale bourgeoise qui nous joue la
comédie démocratique de l'alternance pour mieux continuer ses petites affaires
lucratives entre amis. Je savais aussi qu'une grande part de notre corps social
s'est fait pondre dans la tête par des décennies de propagande libérale et
consumériste et que les gens qui ont encore une conscience politique inspirée
par ce qui est gravé aux frontons de nos mairies pourront bientôt tous tenir
dans un placard à balais de chiottes, je savais qu'on ne peut être trahi que
par ses amis ou tout au moins ceux qui se prétendent comme tels, mais ça fait
toujours un peu mal au cul de se rendre compte, une fois de plus, qu'on avait
absolument raison sur toute la ligne.
La gauche socialiste populaire est morte et enterrée. Je l'ai vue avaler
son extrait de naissance par sa criante absence à un combat que nous ne pouvons
pas nous permettre de perdre.
Je me souviens d'avoir prévenu les associations de blogueurs de gauche que l'
antisarkozysme
primaire était un piège mortel, que nous ne combattions pas un homme, mais
un système, une vision du monde, une organisation sociale fondée sur le
creusement des inégalités, l'exploitation de la misère, la prédation de tous
contre tous.
Remplacer
Sarko par Hollande n'a absolument rien changé au programme de destruction
sociale en cours, pire, les oripeaux de gauche dans lesquels se drape notre
nouveau laquais des pouvoirs financiers bloquent une bonne part de l'esprit
contestataire de ce pays, tant les gens sincèrement de gauche ont l'impression
confuse, mais néanmoins bien ancrée que de dénoncer la politique économique et
sociale du PS reviendrait à tirer contre son propre camp.
J'ai vu, j'ai parcouru, je suis revenue. J'ai pu comptabiliser la maigreur
de nos troupes, la dispersion de nos idées. J'ai pris plaisir à échanger avec
les amis et les gens qui restent fidèles à leurs idéaux, envers et contre tout,
et j'ai acté la mort clinique et sans retour du socialisme en tant que force
politique.