L'écrivain et journaliste François Cavanna
est mort à l'hôpital de Créteil (Val-de-Marne), mercredi 29 janvier, à l'âge de
90 ans. Auteur d'une cinquantaine de livres, dont Les Russkoffs et Les Ritals, il fut le cofondateur, avec Georges Bernier dit Choron,
du journal satirique Hara-Kiri qui
révolutionna la presse française et ouvrit la voie à Mai 68.
Drôle de parcours suivi par cet
autodidacte dont la prose figure aujourd'hui dans les manuels scolaires. Né en
1923, François Cavanna, fils d'un terrassier italien et d'une femme de ménage
originaire de la Nièvre, a grandi à Nogent-sur-Marne où il a subi le racisme
réservé aux rejetons d'immigrés. Dans Les
Ritals, il racontera cette enfance en marge du Front populaire, le
ghetto familial, les fugues à vélo et sa passion viscérale pour la littérature.
Cet ardent défenseur de la langue française ne cessera de rendre hommage
à l'école républicaine et aux maîtres qui lui avaient inculqué le désir d'apprendre.
DÉMOLITION
DE L'HYPOCRISIE
Postier en 1939, maçon trois
ans plus tard, il fut, le jour de ses 20 ans, enrôlé dans le Service du
travail obligatoire (STO) puis expédié dans une usine d'armement à Berlin. Il y
connut la faim, la souffrance et les humiliations de ceux qui ne furent « ni des héros ni des traîtres
». Cet épisode, il le relatera dans Les Russkoffs (prix Interallié 1979), Avec Maria, Cavanna achèvera sa
trilogie autobiographique. Maria était cette jolie et chantante Ukrainienne qui
avait égayé les noires années de la guerre et dont il était tombé éperdument
amoureux. Séparés par les événements en 1945, il traîna, à son retour en
France, un « cafard poisseux » sur les quais de Seine. Il passa des
années à essayer de
la retrouver, ignorant tout de son sort, ce qui
est l'objet précis de Maria.
Imaginatif, il trouva un emploi de dessinateur à Zéro , un journal vendu à la criée. Parmi
les colporteurs, un démerdard à la langue bien pendue, un ancien para, fils
d'un garde-barrière répond au nom de Georges Bernier. Durant six ans, ces deux
anars végètent à Zéro en rêvant de créer leur
propre journal. En 1960, les conditions sont favorables. Le premier numéro
paraît le 9 septembre. Hara-Kiri, « journal bête et méchant
». La
rencontre d'un ancien maçon et d'un ex-plâtrier alliés dans une vaste
entreprise de démolition de l'hypocrisie et de la pudibonderie. Pourquoi ce titre ?
Parce que se faire hara-kiri
est pour Cavanna «
le sommet de la connerie ». Il est le rédacteur en chef
cependant que Choron, s'occupe des ventes et des finances.
RÉVOLUTION
DANS LES MÉDIAS
Une révolution dans les médias que ce mauvais esprit héritier des
dadaïstes, cet humour vachard, très noir qui apparait à l'aube d'une décennie
encore marquée par la censure télévisuelle et les lois sur la protection des
mineurs. Il a l'œil et le flair, Cavanna, pour rassembler des
talents, aimanter autour
de lui des fils de prolos, bourrés de talent. Topor, Gébé, Cabu, Reiser,
Wolinski : une génération comparable à celle qui donna naissance à la comédie
italienne. Orphelin de père, Reiser, surtout, est le fils spirituel de Cavanna.
Les cadets admirent cet ainé charismatique, capable de raconter pendant
deux heures la guerre de Cent Ans et d'expliquer les
hauts faits derrière les noms de chaque station de métro. Dans cette compagnie
de noceurs, de trublions provocateurs qu'il laisse entièrement libres de leurs
mots et leurs dessins, ce fin lettré, passionné d'histoire, ne boit ni ne fume.
Mais il n'est jamais le dernier à s'indigner.
Après dix mois, jugé « dangereux pour la jeunesse
», Hara-Kiri est frappé d'une première interdiction
de courte durée. Une deuxième prononcée en juillet 1966, après le 65e numéro,
manque de donner un
coup fatal à l'entreprise. Décennie de vaches maigres et de mépris. Tant pis,
ils forment une bande de copains liés à la vie, à la mort et jugent mal, de
leur côté, les journaux traditionnels. Ces libertaires vomissent le militarisme
et la société de consommation. Du reste,
il y aura beaucoup de vomi à la «
une » d'Hara-Kiri,
ainsi que des affreux, sales et méchants. Du cul et du culte. Du scato et du
rigolo. Du pipi-caca pour s'oxygéneret de toniques coups de gueule.
COMBLE DE L'IRRESPECT
Parallèlement au mensuel, Hara-Kiri Hebdo, créé en
février 1969, se frotte à l'actualité politique. Et force le
respect d'une intelligentsia qui, jusque-là, se pinçait le nez. En novembre
1970, alors que le général de Gaulle vient de mourir, Hara-Kiri
Hebdo titre :
« Bal tragique à Colombey : 1 mort ». Comble de l'irrespect, ce titre est
une référence aux manchettes de la presse populaire quelques jours plus tôt,
après l'incendie du « 5-7 », une discothèque de Saint-Laurent-du-Pont (Isère),
qui avait fait 146 victimes. Scandale, interdiction et poursuite de l'aventure
sous le nouveau titre Charlie-Hebdo.
Les procès s'accumulent ? Ils persistent et
signent. Chef d'orchestre, cheville ouvrière, mentor, Cavanna est tout cela. Il
tient que l'humour est «un
coup de poing dans la gueule», un uppercut donné à la bêtise, un
camouflet à l'arrogance. L'arrivée de la gauche au pouvoir marque
le début du déclin de l'hebdomadaire. Il disparaît le 23 décembre 1981. Le
mensuel, lui, paraîtra jusqu'en 1986. L'aventure aura duré vingt-cinq ans. « On admire aujourd'hui Hara-Kiri comme une glorieuse réussite, confiait
Cavanna au Monde en 2010. Or, même au temps de sa grande
diffusion, il était haï à l'unanimité, par la presse et les artistes. On était
un journal vulgaire. On nous reprochait notre mauvais goût. On était une
réunion de bandits, d'individus à la marge, de révoltés. » Pourtant il n'éprouvait pas les
aigreurs de la nostalgie. Il collaborera d'ailleurs à Charlie Hebdo lorsque le titre fut
relancé par Philippe Val.
GÉANT AUX PIEDS D'ARGILE
Parallèlement au journalisme, Cavanna s'adonnait à l'écriture.
Son premier livre,Les Ritals, grand succès populaire adapté à
la télévision, l'avait imposé comme un écrivain de premier ordre. Cavanna
possédait, en effet, un style magnifique,
singulier, mélange d'oralité et de lyrisme sec. Un Rabelais moderne, estimait
Pierre Desproges. Défenseur des animaux, militant anti-corrida, écologiste de
la première heure, Cavanna se proclamait «
à gauche de la gauche ». La vie ne l'épargna pas. Derrière ses airs
bourrus, ses bacchantes de Gaulois et ses coups de gueule, c'était un tendre, Cavanna, un géant aux pieds d'argile,
un féministe qui aimait les femmes et ne savait pas toujours choisir. Tiraillé à en crever entre
son épouse et sa maîtresse (Les Yeux plus grands que le ventre,
1983), il fut sauvé de justesse d'un suicide par pendaison.
Après le décès par overdose de sa petite-fille à l'âge de 18
ans, François Cavanna partit en guerre contre la drogue, appelant à une
réglementation mondiale pour endiguer ce fléau. Vers la fin de sa vie, il
habitait un petit studio rue des Trois-Portes non loin de la place Maubert à Paris,
à l'endroit même où jadis se tenaient les fiévreuses réunions de rédaction.
Dans Lune de miel, paru en 2010, il témoigna de son
combat contre la maladie de Parkinson, des efforts qu'il déployait pour continuer à écrire, ces pattes de mouche qu'il arrachait
aux tremblements. N'empêche, il se voyait rivé à son écritoire jusqu'à 100 ans.
Une vieille monomanie hantait cet utopiste : supprimer la
mort, remédier aux
causes biologiques du vieillissement, ce qu'il estimait possible pour peu qu'on
accordât aux chercheurs le budget de l'armée.
C'était oublier que
malgré son grand âge et ses cheveux deneige,
cet écrivain de talent, perpétuellement insurgé, était demeuré un jeune homme.
Macha Séry, Le Monde
J'avais rencontré François Cavanna à plusieurs reprises lors de la foire aux livres de Saint Etienne. Je suis assez fier d'avoir quelques uns de ses bouquins dédicacés.
Une petite suggestion : Allez faire un petit tour sur le site de "là bas si j'y suis" (lien ci dessous) Daniel Mermet consacre l'émission d'aujourd'hui au génial rital.
Une petite suggestion : Allez faire un petit tour sur le site de "là bas si j'y suis" (lien ci dessous) Daniel Mermet consacre l'émission d'aujourd'hui au génial rital.
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